Interrogée par les juridictions nationales au sujet de l’utilisation des marques de concurrents dans le service de référencement Google AdWords, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu plusieurs décisions, notamment un arrêt Google du 23 mars 2010, un arrêt Portakabin du 8 juillet 2010 et un arrêt Interflora du 22 septembre 2011.

La question porte sur l’utilisation de la marque d’un concurrent comme mot-clé dans un tel service de publicité en ligne, pour déclencher l’affichage d’un lien commercial vers le site concurrent lors de la recherche d’un internaute portant sur ce mot-clé.

La Cour européenne a précisé dans quels cas un tel usage est répréhensible et peut constituer une contrefaçon. Ses arrêts semblent ouvrir la porte à la possibilité de certains usages des marques concurrentes dans ces services de référencement.

Exigence d’une atteinte à une fonction de la marque

Soucieuse de la liberté de la concurrence et de l’information des consommateurs sur l’existence d’offres concurrentes, la Cour a indiqué que la marque n’a pas pour objet de protéger son titulaire contre des pratiques inhérentes au jeu de la concurrence.

Se référant aux directives et règlements européens relatifs aux marques nationales et communautaires, la Cour a rappelé que le titulaire d’une marque n’est habilité à interdire l’usage de sa marque par un tiers que si cet usage est susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions de la marque, telles que la fonction essentielle d’indication d’origine, la fonction de communication et de publicité, la fonction d’investissement.

Atteinte à la fonction d’origine de la marque

Selon ces arrêts, il peut y avoir atteinte à la fonction d’origine de la marque si l’annonce concurrente affichée ne permet pas ou permet difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services proviennent du titulaire de la marque, d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou d’un tiers.

Ainsi, l’annonce ne doit pas suggérer faussement l’existence d’un lien économique entre l’annonceur et le titulaire de la marque.

L’annonce peut aussi être répréhensible si elle est à tel point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui est joint à celui-ci, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, au contraire, s’il est économiquement lié à celui-ci.

Atteinte à la fonction de publicité de la marque

En ce qui concerne la fonction de publicité de la marque, estimant que la protection de la marque n’a pas pour objet de protéger son titulaire contre les pratiques inhérentes au jeu de la concurrence, la Cour a considéré que le seul fait que l’usage de la marque d’un tiers comme mot-clé contraigne le titulaire de cette marque à intensifier ses efforts publicitaires pour maintenir ou augmenter sa visibilité auprès des consommateurs ne suffit pas à porter atteinte à cette fonction.

Dès lors que l’annonce concurrente a pour simple but de proposer une alternative par rapport aux produits du titulaire de la marque, qui par ailleurs conserve la possibilité d’utiliser efficacement sa marque pour informer et persuader les consommateurs, la Cour considère que cet usage peut être légitime sous certaines conditions, notamment s’il ne porte pas atteinte aux autres fonctions de la marque.

Le fait que le titulaire de la marque ait à payer un prix plus élevé pour ses enchères sur le mot-clé correspondant à sa marque ne caractérise pas forcément une faute répréhensible de la part du concurrent.

Atteinte à la fonction d’investissement de la marque

Quant à la fonction d’investissement, la Cour considère qu’il peut y avoir atteinte répréhensible à cette fonction lorsque l’usage de la marque comme mot-clé par le concurrent induit une gêne substantielle pour le titulaire de la marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs.

En revanche, selon la cour, si cet usage de la marque par le concurrent est effectué dans des conditions loyales et s’il a pour seule conséquence d’obliger le titulaire de la marque à adapter ses efforts pour acquérir ou conserver une telle réputation, il n’est pas forcément répréhensible, et ce même s’il conduit certains consommateurs à se détourner des produits ou services revêtus de la marque au profit des produits ou services concurrents.

Atteintes spécifiques aux marques renommées

La Cour a également apporté des précisions sur le cas de l’utilisation d’une marque renommée dans un service de référencement tel que Google AdWords.

L’usage de la marque renommée comme mot-clé ne doit pas porter atteinte à son caractère distinctif (dilution).

Cependant, selon la Cour, lorsqu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif comprend à l’évidence que les produits et services offerts ne proviennent pas du titulaire de la marque renommée sur laquelle il fait une recherche mais au contraire d’un concurrent ou d’un tiers, la capacité distinctive de la marque n’est pas réduite par ce seul fait.

Acheter la marque comme mot-clé pour attirer l’attention de l’internaute sur l’existence d’un produit ou service alternatif n’est pas forcément répréhensible selon la Cour, mais toujours à condition de ne pas porter atteinte aux autres fonctions de la marque et surtout à sa fonction d’indication d’origine.

L’usage de la marque renommée comme mot-clé ne doit pas non plus tirer indûment profit de cette renommée (parasitisme) dans des conditions répréhensibles.

Mais si l’annonce se contente de proposer une alternative par rapport aux produits ou services du titulaire de la marque, sans les imiter, sans causer une dilution ou un ternissement de la marque et sans porter atteinte à ses fonctions, il peut s’agir d’un « juste motif » qui permet l’utilisation de cette marque comme mot-clé et d’un usage qui peut relever d’une concurrence saine et loyale.